San Fransisco : les Américains sont prêts à réviser leur modèle de ville

« Après avoir laissé les centres-villes à la finance, aux hôtels et aux chaînes de magasins, les Américains sont prêts à réviser leur modèle ». https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/04/18/apres-avoir-laisse-les-centres-villes-a-la-finance-aux-hotels-et-aux-chaines-de-magasins-les-americains-sont-prets-a-reviser-leur-modele_6170058_3232.html

La pandémie et le travail à domicile ont vidé le centre de San Francisco. Alors que la ville souffre d’une crise du logement sévère, certains imaginent une reconversion des bureaux vacants. De quoi réinventer le centre-ville américain, analyse Corine Lesnes, correspondante du « Monde », dans sa chronique. Publié le 18 avril 2023

Pendant la pandémie, l’idée avait surgi à San Francisco, presque comme une boutade. Tous ces bureaux vides, désertés par les employés, pourquoi ne pas les reconvertir en des logements pour les sans-abri, omniprésents dans le centre-ville, ou pour tous les malmenés par l’extravagance des loyers ?

Les professionnels de l’immobilier avaient rapidement douché les utopies. Transformer des espaces de travail en lieux de vie et de convivialité est plus compliqué – et onéreux – qu’il n’y paraît. Où installe-t-on les cuisines, les salles de bains, les kilomètres de tuyauterie supplémentaire ? Les bonnes intentions ne mènent pas loin si la plomberie ne suit pas.

Trois ans plus tard, l’idée revient en force. La pandémie est finie, mais les sans-abri sont toujours là, tout comme la pénurie de logements abordables. Et le downtown de San Francisco reste à moitié vide. Selon une enquête du projet sur le déplacement urbain (Urban Displacement Project) conduite par l’universitaire Karen Chapple, l’ex-capitale de la tech triomphante arrivait au dernier rang, fin 2022, sur les 62 villes étudiées pour le retour à l’activité dans le centre. Les chercheurs ont mesuré la circulation grâce à la géolocalisation des téléphones portables. San Francisco a enregistré une baisse d’activité de 70 % par rapport à mars 2020, soit 150 000 passants en moins.

Coworking

La pandémie du covid à tuer la ville qui s’était batie au XXème. Du dodo au boulot via le metro le matin et l’inverse le soir s’est dilué daans le télétravail. Le logement devient le tout. On voyage entre la chambre, la cuisine et le salon ave quelques excursions dans la salle de bain.

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Sous la pression de la municipalité, qui voit ses finances s’effondrer (après un excédent de plus de 100 millions de dollars en 2021-2022, soit 91 millions d’euros, le prochain budget est annoncé avec un déficit de 291 millions de dollars), les chefs d’entreprise ont ordonné un retour obligatoire au bureau, au moins trois jours par semaine. Mais les employés traînent les pieds : un tiers reste en télétravail. La vague de licenciements a aggravé le sentiment de désertion : 20 000 emplois technologiques ont disparu à San Francisco et dans la Silicon Valley depuis juin 2022.

Pesante bureaucratie californienne

Avant la pandémie, San Francisco connaissait l’un des taux de vacance immobilière les plus bas du pays. Aujourd’hui, c’est l’inverse. Près de 30 % des bureaux et 27 % des espaces commerciaux sont vides. Alors que les banques s’inquiètent de savoir qui va rembourser les prêts immobiliers, la solution paraît toute trouvée : puisqu’on travaille à la maison, pourquoi ne pas transformer son ancien bureau en logement ?

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Le 4 avril, la maire de San Francisco, London Breed, a proposé un plan pour faciliter la conversion des bureaux en logements. Le code de l’urbanisme serait changé. Les prérequis de parking et d’espaces verts, en vigueur pour les immeubles résidentiels, seraient suspendus. Un cabinet d’architectes mandaté par la municipalité a déjà retenu 12 bâtiments pour un projet pilote de reconversion, qui permettrait de mettre 2 700 logements sur le marché. Et d’autres usages sont à l’étude : transformer les bureaux en laboratoires pour les biotechnologies, le seul secteur encore en progression, voire en résidences universitaires.

San Francisco n’est pas un cas unique. Le gouverneur de Californie, Gavin Newsom, a dégagé 400 millions de dollars pour inciter les villes à lancer des études de reconversion des bureaux. L’Assemblée de l’Etat, elle, est saisie d’un projet de loi qui permettrait d’accélérer la mutation en éliminant une partie de la pesante bureaucratie californienne. « Le travail a été définitivement changé par la pandémie, a justifié l’auteur du texte, le démocrate Matt Haney. Les centres-villes commencent à ressembler à des villes fantômes. Transformer les bureaux vides en logements est l’un des seuls moyens de sauver nos downtowns. »

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Les Américains sont pragmatiques. Après avoir laissé les centres-villes à la finance, aux hôtels et aux chaînes de magasins, ils sont prêts à réviser leur modèle. « Séparer les emplois des logements a toujours été une erreur », argumente Laura Foote, la directrice de YIMBY Action, une association favorable à la construction de logements urbains. Devenue – malgré elle – la capitale de la monoculture technologique, San Francisco découvre l’urgence de diversifier ses activités. Réinventer la ville, pour ne pas dire la roue.

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